Crise financière : en sortir, par Frédéric Lordon

Publié le 29 Septembre 2012

Un régal à lire. Pour ceux qui ne pourront pas être demain à Paris, je vous conseille la lecture attentive d'un excellent article intitulé "En sortir" de Frédéric Lordon, publié mercredi sur son blog. Une occasion, si besoin était, de mettre en lumière l'imbécilité sans nom du Pacte budgétaire (TSCG) et par ricochet, l'imbécilité (à moins qu'il ne s'agisse de complicité délibérée ?) encore plus grande des députés, qui le ratifieraient, s'abstiendraient ou joueraient le petit jeu hypocrite de l'absence sur son banc.

 

Je serai demain à Paris, avec quatre bourbonnais compagnons de co-voiturage, membres du Parti de Gauche, et / ou sympathisants du Front de Gauche. Ce n'est pas parce que l'on est des prolos qu'il faut nous prendre pour des cons. Les prolos aussi savent lire, et ont un cerveau pour COMPRENDRE ce qu'ils lisent et ce qu'ils voient. Compris ? Notre patience ne sera pas aussi longue que la liste sans fin des sacrifices imposés aux populations pour le plus grand bonheur des détenteurs de capitaux, quels qu'ils soient.


Je vous laisse avec cet extrait assez significatif de l'article de F. Lordon, qui ne manquera pas de vous inciter à aller sur son site pour le lire en entier.

 

 

 

Le parti des créanciers ou celui des débiteurs

Les propositions hétérodoxes qui rivalisent d’inventivité pour monter des solutions de refinancement des Etats toutes moins coûteuses les unes que les autres ont sans doute l’heureuse propriété d’alléger le service du fardeau… mais pas son poids principal – ainsi de la proposition de Roosevelt 2012, qui s’escrime encore à chercher des voies traités-compatibles, avec passage par l’intermédiaire d’un établissement bancaire public qui tirerait sa ressource de la BCE pour la transférer à marge nulle à l’Etat, ou bien de l’autorisation du financement direct des Etats par la BCE à taux très faible, etc.


Or le problème se trouve moins dans les flux que dans les stocks. On rappellera tout de même que la dette publique espagnole passe de 36,1 points de PIB en 2007… à 68,5 en 2011 – multipliée par deux. Celle de l’Irlande, de 25 à 108 % sur la même période – multipliée par quatre, qui dit mieux ! On défendra difficilement la thèse qu’Espagnols, ou Irlandais se sont jetés frénétiquement sur les médicaments ou bien ont décidé de partir en retraite à 40 ans (comme les traders, au passage) : c’est le désastre de systèmes bancaires irresponsables qu’ils ont sur les bras. La France, dont la dette passe de 63,8 % de PIB à 85,8 %, le Portugal de 62,7 % à 107,8 % [10], payent eux aussi les dégâts de la finance, mais indirectement et par récession de credit crunch interposée – faut-il redire que tout ceci a commencé avec la crise des subprime en 2007-2008 et que, médiatement ou immédiatement, les populations européennes éclusent les petits désastres de la finance privée (que l’Union a si gentiment déréglementée pour elles) ? De tout ce surplus de dette, indiscutablement né de la crise financière, il faut dire que nous ne sommes pas comptables. Et par conséquent que nous ne le payerons pas.


Le paysage de la politique économique, notamment budgétaire, ne commencera à changer vraiment qu’avec, oui, des taux d’intérêt souverains équivalents à ceux que les banques centrales accordent gracieusement aux banques privées pour les tenir à bout de bras, mais surtout avec 20 à 40 points de PIB de dette publique en moins. Il est vrai que pour que ce paysage-là change ainsi, il faudra préalablement en avoir chamboulé un autre, celui de l’Union européenne elle-même. Mais tout ça va du même pas en vérité puisqu’il suffirait d’annoncer le refus d’« honorer » tout ou partie de la dette publique pour qu’aussitôt explosions financière, monétaire et institutionnelle s’entraînent l’une l’autre. C’est bien là le genre d’idée propre à dégonder les amis de l’Europe (telle qu’elle est), qui hurleront à l’insanité mentale, peut-être au nihilisme des irresponsables attachés à tout détruire. Pour ne rien leur cacher, sinon tout détruire, du moins détruire tout ça, c’est en effet un peu le but de la manœuvre…


Car à la fin, il faut avoir un peu de suite dans les idées et, si ça n’est pas trop demander, procéder logiquement. En l’occurrence, la prémisse réside dans le constat que nous vivons une de ces époques historiques de surendettement généralisé – et passons sur le fait que ce surendettement de tous les agents (ménages, institutions financières, Etats) est le produit même du néolibéralisme… – : les ménages se surendettent sous l’effet de la compression salariale ; les banques se surendettent pour tirer, par « effet de levier », le meilleur parti des opportunités de profit de la déréglementation financière ; les Etats se surendettent par abandon de recettes fiscales sous le dogme de la réduction des impôts (pour les plus riches). De cet énorme stock de dette, il va bien falloir se débarrasser. Or la chose ne peut se faire que selon deux options : soit en préservant les droits des créanciers – l’austérité jusqu’à l’acquittement du dernier sou –, soit en allégeant le fardeau des débiteurs – par l’inflation ou le défaut. Nous vivons à l’évidence en une époque qui a choisi de tout accorder aux créanciers. Que pour leur donner satisfaction il faille mettre des populations entières à genoux, la chose leur est indifférente. C’est à cette époque qu’il faut mettre un terme.

 

© Frédéric Lordon

Rédigé par Sylvie Boussand

Publié dans #Vach'ment bien dit

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